sang qui sépare à jamais le vieux monde, dont tu sors, du monde nouveau à l’entrée duquel tu mourras.
L’année 1789, si fameuse dans notre histoire et dans l’histoire de l’espèce humaine, me trouva dans les landes de ma Bretagne ; je ne pus même quitter la province qu’assez tard, et n’arrivai à Paris qu’après le pillage de la maison Reveillon[1], l’ouverture des états généraux, la constitution du tiers état en Assemblée nationale, le serment du Jeu de Paume, la séance royale du 23 juin, et la réunion du clergé et de la noblesse au tiers état.
Le mouvement était grand sur ma route : dans les villages, les paysans arrêtaient les voitures, demandaient les passeports, interrogeaient les voyageurs. Plus on approchait de la capitale, plus l’agitation croissait. En traversant Versailles, je vis des troupes casernées dans l’orangerie, des trains d’artillerie parqués dans les cours ; la salle provisoire de l’Assemblée nationale élevée sur la place du Palais, et des députés allant et venant parmi des curieux, des gens du château et des soldats.
À Paris, les rues étaient encombrées d’une foule qui stationnait à la porte des boulangers ; les passants discouraient au coin des bornes ; les marchands, sortis de leurs boutiques, écoutaient et racontaient des nouvelles devant leurs portes ; au Palais-Royal s’aggloméraient des agitateurs : Camille Desmoulins commençait à se distinguer dans les groupes.
À peine fus-je descendu, avec madame de Farcy et
- ↑ Le pillage de la maison de Reveillon, fabricant de papiers peints de la rue Saint-Antoine, avait eu lieu le 28 avril 1789.