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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

bassade, m’accueillent avec une noble politesse. Tous les huissiers, concierges, valets de chambre, valet de pied de l’hôtel, sont assemblés sur le trottoir. On me présente les cartes des ministres anglais et des ambassadeurs étrangers, déjà instruits de ma prochaine arrivée.

Le 17 mai de l’an de grâce 1793, je débarquais pour la même ville de Londres, humble et obscur voyageur, à Southampton, venant de Jersey. Aucune mairesse ne s’aperçut que je passais ; le maire de la ville, William Smith, me délivra le 18, pour Londres, une feuille de route, à laquelle était joint un extrait de l’Alien-bill. Mon signalement portait en anglais : « François de Chateaubriand, officier français à l’armée des émigrés (French officer in the emigrant army), taille de cinq pieds quatre pouces (five feet four inches high), mince (thin shape), favoris et cheveux bruns (brown hair and fits). » Je partageai modestement la voiture la moins chère avec quelques matelots en congé ; je relayai aux plus chétives tavernes ; j’entrai pauvre, malade, inconnu, dans une ville opulente et fameuse, où M. Pitt régnait ; j’allai loger, à six schellings par mois, sous le lattis d’un grenier que m’avait préparé un cousin de Bretagne, au bout d’une petite rue qui joignait Tottenham-Court-Road.

Ah ! Monseigneur, que votre vie,
D’honneurs aujourd’hui si remplie,
Diffère de ces heureux temps !

Cependant une autre obscurité m’enténèbre à Londres. Ma place politique met à l’ombre ma renommée