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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE


tant à Sparte, et contemplant le ciel pendant la nuit, je me souvenais des pays qui avaient déjà vu mon sommeil paisible ou troublé : parmi les bois de l’Allemagne, dans les bruyères de l’Angleterre, dans les champs de l’Italie, au milieu des mers, dans les forêts canadiennes, j’avais déjà salué les mêmes étoiles que je voyais briller sur la patrie d’Hélène et de Ménélas. Mais que me servirait de me plaindre aux astres, immobiles témoins de mes destinées vagabondes ? Un jour leur regard ne se fatiguera plus à me poursuivre : maintenant, indifférent à mon sort, je ne demanderai pas à ces astres de l’incliner par une plus douce influence, ni de me rendre ce que le voyageur laisse de sa vie dans les lieux où il passe.

Si je revoyais aujourd’hui les États-Unis, je ne les reconnaîtrais plus : là où j’ai laissé des forêts, je trouverais des champs cultivés ; là où je me suis frayé un sentier à travers les halliers, je voyagerais sur de grandes routes ; aux Natchez, au lieu de la hutte de Céluta, s’élève une ville d’environ cinq mille habitants ; Chactas pourrait être aujourd’hui député au Congrès. J’ai reçu dernièrement une brochure imprimée chez les Chérokis, laquelle m’est adressée dans l’intérêt de ces sauvages, comme au défenseur de la liberté de la presse.

Il y a chez les Muscogulges, les Siminoles, les Chickasas, une cité d’Athènes, une autre de Marathon, une autre de Carthage, une autre de Memphis, une autre de Sparte, une autre de Florence ; on trouve un comté de la Colombie et un comté de Marengo : la gloire de tous les pays a placé un nom dans ces mêmes déserts où j’ai rencontré le père Aubry et l’obscure Atala. Le