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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

certaines fourmis de l’Inde ramassaient des tas d’or ; d’après Athénée, le soleil avait donné à Hercule un vaisseau d’or pour aborder à l’île d’Érythia, retraite des Hespérides : bien que fourmi, je n’ai pas l’honneur d’appartenir à la grande famille indienne, et, bien que navigateur, je n’ai jamais traversé l’eau que dans une barque de sapin. Ce fut un bâtiment de cette espèce qui me ramena d’Amérique en Europe. Le capitaine me donna mon passage à crédit. Le 10 de décembre 1791, je m’embarquai avec plusieurs de mes compatriotes, qui, par divers motifs, retournaient comme moi en France. La désignation du navire était le Havre.

Un coup de vent d’ouest nous prit au débouquement de la Delaware, et nous chassa en dix-sept jours à l’autre bord de l’Atlantique. Souvent à mât et à corde, à peine pouvions-nous mettre à la cape. Le soleil ne se montra pas une seule fois. Le vaisseau, gouvernant à l’estime, fuyait devant la lame. Je traversai l’Océan au milieu des ombres ; jamais il ne m’avait paru si triste. Moi-même, plus triste, je revenais trompé dès mon premier pas dans la vie : « On ne bâtit point de palais sur la mer », dit le poète persan Feryd-Eddin. J’éprouvais je ne sais quelle pesanteur de cœur, comme à l’approche d’une grande infortune.

    pas sa table, à l’époque où il écrivait son Essai sur les Révolutions. Dans une conversation avec M. de Marcellus, en 1822, il jugeait ainsi le vieil historien : « Hérodote est, avec Homère, le seul auteur grec que je puisse lire encore. Il n’y a pas, quoiqu’en dise Plutarque, une ombre de malice dans ses récits. Il est véridique et très circonspect quand il touche aux antiques légendes. Enfin, il est aisé, abondant, et surtout clair et simple, premières vertus du style de l’histoire. » Chateaubriand et son temps, p. 75.