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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

aux échecs dans la chambre du capitaine ; il ne se remit pas mon visage, tant j’étais changé ; mais moi, je reconnus Gesril. Nous ne nous étions pas vus depuis Brest ; nous devions nous séparer à Southampton. Je lui racontai mes voyages, il me raconta les siens. Ce jeune homme, né auprès de moi parmi les vagues, embrassa pour la dernière fois son premier ami au milieu des vagues qu’il allait prendre à témoin de sa glorieuse mort. Lamba Doria, amiral des Génois, ayant battu la flotte des Vénitiens[1], apprend que son fils a été tué : Qu’on le jette à la mer, dit ce père, à la façon des Romains, comme s’il eût dit : Qu’on le jette à sa victoire. Gesril ne sortit volontairement des flots dans lesquels il s’était précipité que pour mieux leur montrer sa victoire sur leur rivage.

J’ai déjà donné au commencement du sixième livre de ces Mémoires le certificat de mon débarquement de Jersey à Southampton. Voilà donc qu’après mes

    nan, paroisse de Saint-Malo, le 9 août 1761. Il fut reçu conseiller au parlement de Bretagne le 5 décembre 1782. Dévoué à la cause royale, il aurait probablement partagé le sort de vingt-deux membres de sa famille, victimes de leur foi politique et religieuse, s’il n’avait réussi à émigrer en Angleterre. Fort instruit et très laborieux, il fournit, dit-on, des matériaux à Chateaubriand pour son Génie du Christianisme. Rentré en France, il consacra ses loisirs à des travaux littéraires et scientifiques. Outre deux savants Mémoires couronnés, en 1810 et en 1822, par l’Académie de La Rochelle et par la Société centrale d’agriculture du département de la Seine-Inférieure, il publia, en 1826, une intéressante nouvelle sous ce titre : Le Capucin, anecdote historique. Le conseiller Hingant de la Tiemblais est mort au Verger, en Plouer, le 16 août 1827.

  1. Lamba Doria, dans la guerre de Gênes contre Venise, battit la flotte vénitienne, commandée par l’amiral André Dandolo, devant l’île Curzola, sur la côte de Dalmatie.