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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

enfant y respirait, des Anglais ont passé à Combourg sans se douter qu’un petit vagabond, élevé dans ces bois, laisserait quelque trace. Le voyageur Arthur Young, traversant Combourg, écrivait :

« Jusqu’à Combourg (de Pontorson) le pays a un aspect sauvage ; l’agriculture n’y est pas plus avancée que chez les Hurons, ce qui paraît incroyable dans un pays enclos ; le peuple y est presque aussi sauvage que le pays, et la ville de Combourg, une des places les plus sales et les plus rudes que l’on puisse voir : des maisons de terre sans vitres, et un pavé si rompu qu’il arrête les passagers, mais aucune aisance. — Cependant il s’y trouve un château, et il est même habité. Qui est ce M. de Chateaubriand, propriétaire de cette habitation, qui a des nerfs assez forts pour résider au milieu de tant d’ordures et de pauvreté ? Au-dessous de cet amas hideux de misère est un beau lac environné d’enclos bien boisés[1]. »

Ce M. de Chateaubriand était mon père ; la retraite qui paraissait si hideuse à l’agronome de mauvaise humeur n’en était pas moins une belle et noble demeure, quoique sombre et grave. Quant à moi, faible plant de lierre commençant à grimper au pied de ces tours sauvages, M. Young eût-il pu m’apercevoir, lui qui n’était occupé que de la revue de nos moissons ?

Qu’il me soit permis d’ajouter à ces pages, écrites en Angleterre en 1822, ces autres pages écrites en 1824 et 1840 : elles achèveront le morceau de lord

  1. Voyage en France, en Espagne et en Italie pendant les années 1787-1789, par Arthur Young.