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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

ques années, que dis-je ? de quelques mois, l’engouement disparaît ; le dénigrement lui succède. On voit déjà pâlir la gloire de lord Byron ; son génie est mieux compris de nous ; il aura plus longtemps des autels en France qu’en Angleterre. Comme Childe-Harold excelle principalement à peindre les sentiments particuliers de l’individu, les Anglais, qui préfèrent les sentiments communs à tous, finiront par méconnaître le poète dont le cri est si profond et si triste. Qu’ils y prennent garde : s’ils brisent l’image de l’homme qui les a fait revivre, que leur restera-t-il ?


Lorsque j’écrivis, pendant mon séjour à Londres, en 1822, mes sentiments sur lord Byron, il n’avait plus que deux ans à vivre sur la terre : il est mort en 1824, à l’heure où les désenchantements et les dégoûts allaient commencer pour lui. Je l’ai précédé dans la vie ; il m’a précédé dans la mort ; il a été appelé avant son tour ; mon numéro primait le sien, et pourtant le sien est sorti le premier. Childe-Harold aurait dû rester : le monde me pouvait perdre sans s’apercevoir de ma disparition. J’ai rencontré, en continuant ma route, madame Guiccioli[1] à Rome,

  1. Teresa Gamba, comtesse Guiccioli, née à Ravenne en 1802, célèbre par sa liaison avec lord Byron. En 1831, veuve de son mari et… et de lord Byron, elle épousa le marquis de Boissy, qui avait été attaché à l’ambassade de Chateaubriand à Rome et l’un de ses protégés. Le marquis de Boissy, pair de France sous Louis-Philippe et sénateur sous le second empire, est resté le type du parfait interrupteur. L’ex-comtesse Guiccioli a fait paraître, en 1863, deux volumes de souvenirs sur l’auteur de Childe-Harold, publiés sous ce titre : Byron jugé par des témoins de sa vie.