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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

raison et la vue. Chaque session, à l’ouverture du Parlement, les ministres lisaient aux chambres silencieuses et attendries le bulletin de la santé du roi. Un jour, j’étais allé visiter Windsor : j’obtins pour quelques schellings de l’obligeance d’un concierge qu’il me cachât de manière à voir le roi. Le monarque, en cheveux blancs et aveugle, parut, errant comme le roi Lear dans ses palais et tâtonnant avec ses mains les murs des salles. Il s’assit devant un piano dont il connaissait la place, et joua quelques morceaux d’une sonate de Hændel : c’était une belle fin de la vieille Angleterre. Old England !


Je commençais à tourner les yeux vers ma terre natale. Une grande révolution s’était opérée. Bonaparte, devenu premier consul, rétablissait l’ordre par le despotisme ; beaucoup d’exilés rentraient ; la haute émigration, surtout, s’empressait d’aller recueillir les débris de sa fortune : la fidélité périssait par la tête, tandis que son cœur battait encore dans la poitrine de quelques gentilshommes de province à demi nus. Madame Lindsay était partie ; elle écrivait à MM. de Lamoignon de revenir ; elle invitait aussi madame d’Aguesseau, sœur de MM. de Lamoignon[1], à passer le détroit. Fontanes m’appelait, pour achever à Paris l’im-

  1. Sur MM. de Lamoignon, voir ci-dessus la note 1 de la page 154 (note 21 du Livre VIII). — Leur sœur, Marie-Catherine, née le 3 mars 1759, avait épousé Henri-Cardin-Jean-Baptiste, marquis d’Aguesseau, seigneur de Fresne, avocat général au Parlement, lequel devint membre de l’Académie française (1787), député à la Constituante de 1789, sénateur de l’Empire (1805), pair de la Restauration (1814). Madame d’Aguesseau est morte en 1849, à l’âge de quatre-vingt-dix ans.