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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

d’une de ces élégantes bruyères qui remplacent les autres filles de Flore, lorsque la saison de celles-ci n’est pas encore venue ou qu’elle est passée : ce chœur féminin, varié d’âge et de beauté, était mon ancienne sylphide réalisée. Le double effet sur ma vanité et mes sentiments pouvait être d’autant plus redoutable que jusqu’alors, excepté un attachement sérieux, je n’avais été ni recherché, ni distingué de la foule. Toutefois je le dois dire : m’eût-il été facile d’abuser d’une illusion passagère, l’idée d’une volupté advenue par les voies chastes de la religion révoltait ma sincérité : être aimé à travers le Génie du christianisme, aimé pour l’Extrême-Onction, pour la Fête des Morts ! Je n’aurais jamais été ce honteux tartufe.

J’ai connu un médecin provençal, le docteur Vigaroux ; arrivé à l’âge où chaque plaisir retranche un jour, « il n’avait point, disait-il, de regret du temps ainsi perdu ; sans s’embarrasser s’il donnait le bonheur qu’il recevait, il allait à la mort dont il espérait faire sa dernière délice. » Je fus cependant témoin de ses pauvres larmes lorsqu’il expira ; il ne put me dérober son affliction ; il était trop tard : ses cheveux blancs ne descendaient pas assez bas pour cacher et essuyer ses pleurs. Il n’y a de véritablement malheureux en quittant la terre que l’incrédule : pour l’homme sans foi, l’existence a cela d’affreux qu’elle fait sentir le néant ; si l’on n’était point né, on n’éprouverait pas l’horreur de ne plus être : la vie de l’athée est un effrayant éclair qui ne sert qu’à découvrir un abîme.

Dieu de grandeur et de miséricorde ! vous ne nous avez point jetés sur la terre pour des chagrins peu