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Page:Chateaubriand - Mémoires d’outre-tombe t2.djvu/331

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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

d’une tempête. Je me croyais en Amérique : le Rhône me représentait mes grandes rivières sauvages. J’étais niché dans une petite auberge, au bord des flots ; un conscrit se tenait debout dans un coin du foyer ; il avait le sac sur le dos, et allait rejoindre l’armée d’Italie. J’écrivais sur le soufflet de la cheminée, en face de l’hôtelière, assise en silence devant moi, et qui, par égard pour le voyageur, empêchait le chien et le chat de faire du bruit.

Ce que j’écrivais était un article déjà presque fait en descendant le Rhône et relatif à la Législation primitive de M. de Bonald. Je prévoyais ce qui est arrivé depuis : « La littérature française, disais-je, va changer de face ; avec la Révolution vont naître d’autres pensées, d’autres vues des choses et des hommes. Il est aisé de prévoir que les écrivains se diviseront. Les uns s’efforceront de sortir des anciennes routes ; les autres tâcheront de suivre les antiques modèles, mais toutefois en les présentant sous un jour nouveau. Il est assez probable que les derniers finiront par l’emporter sur leurs adversaires, parce qu’en s’appuyant sur les grandes traditions et sur les grands hommes, ils auront des guides plus sûrs et des documents plus féconds. »

    mais mes opinions. On me sait gré de tout ce que j’ai dit, de tout ce que je n’ai pas dit, et ces honnêtes gens me reçoivent comme le défenseur de leurs propres sentiments, de leurs propres idées. Il n’y a pas de chagrin, pas de travail que cela ne doive payer. Le plaisir que j’éprouve est, je vous assure, indépendant de tout amour-propre : c’est l’homme et non l’auteur qui est touché. — J’ai vu Lyon. Je vous en parlerai à loisir. C’est, je crois, la ville que j’aime le mieux au monde… » Lettre écrite d’Avignon, le samedi 6 novembre 1802. (Voir Chateaubriand, sa femme et ses amis, par l’abbé G. Pailhès, p. 109.)