Page:Chateaubriand - Mémoires d’outre-tombe t2.djvu/353

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
329
MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

cimetière de la barrière de Vaugirard. Le cercueil ayant été déposé au bord de la fosse, sur le petit monceau de terre qui le devait bientôt recouvrir, M. de Fontanes prononça un discours. La scène était lugubre : les tourbillons de neige tombaient du ciel et blanchissaient le drap mortuaire que le vent soulevait, pour laisser passer les dernières paroles de l’amitié à l’oreille de la mort[1]. Le cimetière a été détruit et M. de La Harpe exhumé : il n’existait presque plus rien de ses cendres chétives. Marié sous le Directoire, M. de La Harpe n’avait pas été heureux avec sa belle femme[2] ; elle l’avait pris en horreur en le voyant, et ne voulut jamais lui accorder aucun droit.

Au reste, M. de La Harpe avait, ainsi que toute chose, diminué auprès de la Révolution qui grandissait toujours : les renommées se hâtaient de se retirer devant le représentant de cette Révolution, comme les périls perdaient leur puissance devant lui.


Tandis que nous étions occupés du vivre et du mourir vulgaires, la marche gigantesque du monde s’accomplissait ; l’homme du temps prenait le haut bout dans la race humaine. Au milieu des remuements immenses, précurseurs du déplacement universel, j’étais débarqué à Calais pour concourir à l’action générale, dans la mesure assignée à chaque soldat. J’arrivai, la première année du siècle, au camp où Bonaparte battait le rappel des destinées : il devint bientôt premier consul à vie.

  1. Voir l’Appendice, no VIII : la Mort de La Harpe.
  2. La Harpe, veuf, s’était remarié, en 1797, avec Mlle de Hatte-Longuerue. — Voir l’Appendice, No VIII.