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Page:Chateaubriand - Mémoires d’outre-tombe t2.djvu/381

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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

velir pour jamais, tel est le devoir qui m’est imposé et que j’espère avoir le courage d’accomplir. Si le calice est trop amer, une fois oubliée rien ne me forcera de l’épuiser en entier, et peut-être que tout simplement ma vie ne sera pas aussi longue que je le crains.

« Si j’avais déterminé le lieu de ma retraite, il me semble que je serais plus calme ; mais la difficulté du moment ajoute aux difficultés qui naissent de ma faiblesse, et il faut quelque chose de surnaturel pour agir contre soi avec force, pour se traiter avec autant de rigueur que le pourrait faire un ennemi violent et cruel. »


Rome, ce 28 octobre.

« Depuis dix mois, je n’ai pas cessé de souffrir ; Depuis six, tous les symptômes du mal de poitrine et quelques-uns au dernier degré : il ne me manque plus que les illusions, et peut-être en ai-je ! »

M. Joubert, effrayé de cette envie de mourir qui tourmentait madame de Beaumont, lui adressait ces paroles dans ses Pensées : « Aimez et respectez la vie, sinon pour elle, au moins pour vos amis. En quelque état que soit la vôtre, j’aimerai toujours mieux vous savoir occupée à la filer qu’à la découdre. »

Ma sœur, dans ce moment, écrivait à madame de Beaumont. Je possède cette correspondance, que la mort m’a rendue. L’antique poésie représente je ne sais quelle Néréide comme une fleur flottant sur l’abîme : Lucile était cette fleur. En rapprochant ses lettres des fragments cités plus haut, on est frappé de cette ressemblance de tristesse d’âme, exprimée dans