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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

avez la bonté, madame, de continuer à m’écrire, cela me sera un grand surcroît de bonheur. »

Le mystère du style, mystère sensible partout, présent nulle part ; la révélation d’une nature douloureusement privilégiée ; l’ingénuité d’une fille qu’on croirait être dans sa première jeunesse, et l’humble simplicité d’un génie qui s’ignore, respirent dans ces lettres, dont je supprime un grand nombre. Madame de Sévigné écrivait-elle à madame de Grignan avec une affection plus reconnaissante que madame de Caud à madame de Beaumont ? Sa tendresse pouvait se mêler de marcher côte à côte avec la sienne. Ma sœur aimait mon amie avec toute la passion du tombeau, car elle sentait qu’elle allait mourir. Lucile n’avait presque point cessé d’habiter près des Rochers[1] ; mais elle était la fille de son siècle et la Sévigné de la solitude.


Une lettre de M. Ballanche, datée du 30 fructidor[2], m’annonça l’arrivée de madame de Beaumont, venue du Mont-Dore à Lyon et se rendant en Italie. Il me mandait que le malheur que je redoutais n’était point à craindre, et que la santé de la malade paraissait s’améliorer. Madame de Beaumont, parvenue à Milan, y rencontra M. Bertin que des affaires y avaient appelé : il eut la complaisance de se charger de la pauvre voyageuse, et il la conduisit à Florence où j’étais allé l’attendre. Je fus terrifié à sa vue ; elle n’avait plus que la force de sourire. Après quelques jours de repos, nous nous mîmes en route pour Rome, cheminant au pas pour éviter les cahots. Madame de Beau-

  1. Le château de Mme  de Sévigné en Bretagne.
  2. Du 30 fructidor an XI (17 septembre 1803).