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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

Comme ses crimes se sont trouvés mêlés à un grand mouvement social, on s’est, très mal à propos, figuré que ces crimes avaient produit les grandeurs de la Révolution, dont ils n’étaient que les affreux pastiches : d’une belle nature souffrante, des esprits passionnés ou systématiques n’ont admiré que la convulsion.

Danton, plus franc que les Anglais, disait : « Nous ne jugerons pas le roi, nous le tuerons. » Il disait aussi : « Ces prêtres, ces nobles ne sont point coupables, mais il faut qu’ils meurent, parce qu’ils sont hors de place, entravent le mouvement des choses et gênent l’avenir. » Ces paroles, sous un semblant d’horrible profondeur, n’ont aucune étendue de génie : car elles supposent que l’innocence n’est rien, et que l’ordre moral peut être retranché de l’ordre politique sans le faire périr, ce qui est faux.

Danton n’avait pas la conviction des principes qu’il soutenait ; il ne s’était affublé du manteau révolutionnaire que pour arriver à la fortune. « Venez brailler avec nous, conseillait-il à un jeune homme : quand vous vous serez enrichi, vous ferez ce que vous voudrez[1]. » Il confessa que s’il ne s’était pas livré à la cour, c’est qu’elle n’avait pas voulu l’acheter assez cher : effronterie d’une intelligence qui se connaît et d’une corruption qui s’avoue à gueule bée.

  1. C’est à M. Royer-Collard, alors secrétaire adjoint de la municipalité, que Danton adressa un jour ces paroles, comme ils sortaient ensemble de l’hôtel du Département. Danton était à ce moment substitut du procureur de la Commune. (Beaulieu, Essais sur les causes et les effets de la Révolution de France, t. III, p. 192). — Voir aussi Journal d’un bourgeois de Paris pendant la Terreur, par Edmond Biré, tome II, p. 89.