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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

souvenir ; on se la rappelle encore : j’ai vu Léon XII prier à son tombeau. En 1828[1], je visitai le monument de celle qui fut l’âme d’une société évanouie[2] ; le bruit de mes pas autour de ce monument muet, dans une église solitaire, m’était une admonition. « Je t’aimerai toujours, dit l’épitaphe grecque ; mais toi, chez les morts, ne bois pas, je t’en prie, à cette coupe qui te ferait oublier tes anciens amis[3]. »

  1. Et non en 1827, comme le portent toutes les éditions des Mémoires. Chateaubriand passa toute l’année 1827 à Paris. Ce fut seulement en 1828, sous le ministère Martignac, qu’il fut nommé à l’ambassade de Rome.
  2. Ce monument, c’était Chateaubriand qui l’avait fait élever, dans l’église Saint-Louis-des-Français. Dans la première chapelle à gauche en entrant, en face du tombeau du cardinal de Bernis, un bas-relief, en marbre blanc représente madame de Beaumont étendue sur sa couche funèbre ; au-dessus, les médaillons de son père, de sa mère, de ses deux frères et de sa sœur, avec ces mots : Quia non sunt ; dessous, cette inscription :
    D. O. M.

    Après avoir vu périr toute sa famille,
    Son père, sa mère, ses deux frères et sa sœur,
    pauline de montmorin,
    Consumée d’une maladie de langueur,
    Est venue mourir sur cette terre étrangère.
    F.-A. de Chateaubriand a élevé ce monument

    à sa mémoire.

    En cette circonstance, ainsi que cela lui arrivera si souvent, Chateaubriand avait plus écouté ses sentiments qu’il n’avait fait état de sa fortune. Il écrivait à Gueneau de Mussy, le 20 décembre 1803 : « Je vous prie de veiller un peu à mes intérêts littéraires ; songez que c’est la seule ressource qui va me rester… Le monument de Mme de Beaumont me coûtera environ neuf mille francs. J’ai vendu tout ce que j’avais pour en payer une partie… »

  3. C’est une épigramme anonyme de l’Anthologie grecque (VII, 346). En voici la traduction complète : « Excellent Sabinus, que ce monument, bien que la pierre en soit petite, te soit un gage de ma grande amitié ! Je te regretterai sans cesse ; mais toi, ne vas pas, si tu le peux chez les morts, boire une