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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

Dans ce moment même, la Russie me faisait sonder pour savoir si j’accepterais la place de gouverneur d’un grand-duc[1] : ce serait tout au plus si j’aurais voulu faire à Henri V le sacrifice des dernières années de ma vie.

Tandis que je flottais entre mille partis, je reçus la nouvelle que le premier consul m’avait nommé ministre dans le Valais. Il s’était d’abord emporté sur des dénonciations ; mais, revenant à sa raison, il comprit que j’étais de cette race qui n’est bonne que sur un premier plan, qu’il ne fallait me mêler à personne, ou bien que l’on ne tirerait jamais parti de moi. Il n’y avait point de place vacante ; il en créa une, et, la choisissant conforme à mon instinct de solitude et

    douze jours pour Naples afin de me tirer un moment de cette ville où j’ai eu tant de chagrins.

    « Je désire que cette lettre, mon cher ami, vous fasse autant de plaisir que les autres ont pu vous faire de peine ; mais je n’en suis pas moins très malheureux. J’espère vous embrasser au printemps. En attendant, souvenez-vous que je ne pars plus. Mille amitiés. » — Bibliothèque de Genève. Orig. autog.

  1. Chateaubriand parle de cette proposition dans une autre lettre à Fontanes, en date du 16 novembre 1803 : « … Je ne sais dans laquelle de vos lettres vous me parlez de mes projets pour le Nord. Par un hasard singulier, il y a ici un général russe, très aimé de l’empereur de Russie et en correspondance avec lui, qui m’a fait demander pour causer avec moi du dessein qu’avait eu la princesse de Mecklembourg de me placer gouverneur auprès du grand-duc de Russie. Cette place est très belle, très honorable, et après six ou huit ans de service (le prince a huit ans), elle me laisserait une fortune assez considérable pour le reste de mes jours. Mais un nouvel exil de huit ans me fait trembler. On m’offre aussi une place à l’Académie de Pétersbourg avec la pension ; mais, par une loi de la République, aucun Français ne peut recevoir une pension de l’étranger. Ainsi non seulement on vous persécute, mais on vous empêche encore de jouir des marques d’estime que des étrangers aimeraient à vous donner… » — Bibliothèque de Genève. Original autog.