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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

lait ma défection ; elle m’envoya chercher et me fit les plus vifs reproches. M. de Fontanes devint presque fou de peur au premier moment : il me réputait fusillé avec toutes les personnes qui m’étaient attachées[1]. Pendant plusieurs jours, mes amis restèrent dans la crainte de me voir enlever par la police ; ils se présentaient chez moi d’heure en heure, et toujours en frémissant, quand ils abordaient la loge du portier. M. Pasquier vint m’embrasser le lendemain de ma démission, disant qu’on était heureux d’avoir un ami tel que moi. Il demeura un temps assez considérable dans une honorable modération, éloigné des places et du pouvoir.

Néanmoins, ce mouvement de sympathie, qui nous emporte à la louange d’une action généreuse, s’arrêta. J’avais accepté, en considération de la religion, une place hors de France, place que m’avait conférée un génie puissant, vainqueur de l’anarchie, un chef sorti du principe populaire, le consul d’une république, et non un roi continuateur d’une monarchie usurpée ; alors, j’étais isolé dans mon sentiment, parce que j’étais conséquent dans ma conduite ; je me retirai quand les conditions auxquelles je pouvais souscrire s’altérèrent ; mais aussitôt que le héros se fut changé en meurtrier, on se précipita dans ses antichambres. Six mois après le 21 mars, on eût pu croire qu’il n’y avait plus qu’une opinion dans la haute société, sauf de méchants quolibets que l’on se permettait à huis

  1. « Mme Bacciochi, qui nous était fort attachée, jeta les hauts cris en apprenant ce qu’elle appelait notre défection. Pour Fontanes, il devint fou de peur ; il se voyait déjà fusillé avec M. de Chateaubriand et tous nos amis. » Souvenirs de Mme de Chateaubriand. — Voir l’Appendice no X : Le Cahier rouge.