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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

de la nouvelle demeure de ma sœur. J’avais commencé à écrire à celle-ci une longue lettre, lorsque madame de Chateaubriand tomba tout à coup dangereusement malade : j’étais au bord de son lit quand on m’apporta une nouvelle lettre de Saint-Germain ; je l’ouvris : une ligne foudroyante m’apprenait la mort subite de Lucile.

J’ai pris soin de beaucoup de tombeaux dans ma vie, il était de mon sort et de la destinée de ma sœur que ses cendres fussent jetées au ciel. Je n’étais point à Paris au moment de sa mort ; je n’y avais aucun parent ; retenu à Villeneuve par l’état périlleux de ma femme, je ne pus courir à des restes sacrés ; des ordres transmis de loin arrivèrent trop tard pour prévenir une inhumation commune. Lucile était ignorée et n’avait pas un ami ; elle n’était connue que du vieux serviteur de madame de Beaumont, comme s’il eût été chargé de lier les deux destinées. Il suivit seul le cercueil délaissé, et il était mort lui-même avant que les souffrances de madame de Chateaubriand me permissent de la ramener à Paris.

Ma sœur fut enterrée parmi les pauvres : dans quel cimetière fut-elle déposée ? dans quel flot immobile d’un océan de morts fut-elle engloutie ? dans quelle maison expira-t-elle au sortir de la communauté des Dames de Saint-Michel ? Quand, en faisant des recherches, quand, en compulsant les archives des municipalités, les registres des paroisses, je rencontrerais le nom de ma sœur, à quoi cela me servirait-il[1] ?

  1. L’acte de décès a été découvert depuis. Madame de Caud mourut dans le quartier du Marais, rue d’Orléans, no 6, le 18 brumaire an XIII (9 novembre 1804).