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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

immense. Mon Itinéraire n’entre pas dans beaucoup plus de détails sur Grenade ; je me contente de dire :

« L’Alhambra me parut digne d’être remarqué, même après les temples de Grèce. La vallée de Grenade est délicieuse et ressemble beaucoup à celle de Sparte : on conçoit que les Maures regrettent un pareil pays. »

C’est dans le Dernier des Abencerages[1] que j’ai décrit l’Alhambra. L’Alhambra, le Généralife, le Monte-Santo se sont gravés dans ma tête comme ces paysages fantastiques que, souvent à l’aube du jour, on croit entrevoir dans un beau premier rayon de l’aurore. Je me sens encore assez de nature pour peindre la Vega ; mais je n’oserais le tenter, de peur de l’archevêque de Grenade. Pendant mon séjour dans la ville des sultanes, un guitariste, chassé par un tremblement de terre d’un village que je venais de traverser, s’était donné à moi. Sourd comme un pot, il me suivait partout : quand je m’asseyais sur une ruine dans le palais des Maures, il chantait debout à mes côtés, en s’accompagnant de sa guitare. L’harmonieux mendiant n’aurait peut-être pas composé la symphonie de la Création, mais sa poitrine brunie se montrait à travers les lambeaux de sa casaque, et il aurait eu grand besoin d’écrire comme Beethoven à mademoiselle Breuning :

« Vénérable Éléonore, ma très chère amie, je voudrais bien être assez heureux pour posséder une veste de poil de lapin tricotée par vous. »

  1. Cette Nouvelle composée sous l’Empire, a paru pour la première fois en 1827, dans le tome XVI de la première édition des Œuvres complètes, sous le titre : Les Aventures du dernier Abencerage.