Page:Chateaubriand - Mémoires d’outre-tombe t2.djvu/561

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
531
MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

grand chemin la colonne de Méréville[1] ; ainsi que la colonne de Pompée, elle m’annonçait le désert : comme mes fortunes de mer, tout a changé.

J’arrivai à Paris avant les nouvelles que je donnais de moi : j’avais devancé ma vie. Tout insignifiantes que sont les lettres que j’écrivais, je les parcours, comme on regarde de méchants dessins qui représentent des lieux qu’on a visités. Ces billets datés de Modon, d’Athènes, de Zéa, de Smyrne et de Constantinople, de Jaffa, de Jérusalem, d’Alexandrie, de Tunis, de Grenade, de Madrid et de Burgos ; ces lignes tracées sur toutes sortes de papier, avec toutes sortes d’encre, apportées par tous les vents, m’intéressent. Il n’y a pas jusqu’à mes firmans que je ne me plaise à dérouler : j’en touche avec plaisir le vélin, j’en suis l’élégante calligraphie et je m’ébahis à la pompe du style. J’étais donc un bien grand personnage ! Nous sommes de bien pauvres diables, avec nos lettres et nos passe-ports à quarante sous, auprès de ces seigneurs du turban !

Osman Séïd, pacha de Morée, adresse ainsi à qui de droit mon firman pour Athènes :

« Hommes de loi des bourgs de Misitra (Sparte) et d’Argos, cadis, nadirs, effendis, de qui puisse la sagesse s’augmenter encore ; honneur de vos pairs et de nos grands, vaïvodes, et vous par qui voit

  1. Il a été parlé plus haut, page 468, note 4, (note 9 du Livre IV), du château de Méréville. Je lis dans une description de Méréville et de son parc, faite en 1819 : « Sur un des points les plus élevés du parc est une colonne dont la hauteur égale celle de la place Vendôme. Du sommet de cette colonne, la vue embrasse tout l’ensemble du parc et une campagne magnifique dont l’horizon s’étend à vingt lieues. » Angerville est à quatre kilomètres du château de Méréville, où Chateaubriand, les années précédentes, était allé, avec Mme de Vintimille visiter Mme de Noailles.