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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

Sainte-Beuve, dont une femme d’esprit disait : « Il ressemble à une vieille femme qui a oublié de mettre son tour » ; Sainte-Beuve, dont l’âme ne péchait point par l’excès des qualités chevaleresques ; Sainte-Beuve a jugé Chateaubriand avec une sévérité dont l’acrimonie n’est point absente. Lui, si bien informé d’habitude et amateur passionné de documents inédits, il n’a pas su que Mme de Chateaubriand écrivait, elle aussi, ses mémoires, qui se développaient parallèlement à ceux de son mari, les complétaient et dans bien des cas les éclairaient. Ces mémoires, écrits sur des cahiers reliés en maroquin rouge, je les ai lus[1].

La révélation de Maxime du Camp ne laissa pas de causer quelque surprise. On savait bien par Joubert que les lettres de Mme de Chateaubriand étaient pleines d’esprit, à ce point qu’il s’empressait souvent de les copier pour en faire jouir leurs amis communs. « Vraiment, écrit-il, sa femme (de Chateaubriand) entend mieux que lui les petites choses… Si le Publiciste lisait ses lettres, il les trouverait de bon goût et dignes de ses feuilletons. Je vais vous en transcrire quelque chose : cette plume vive et leste, mérite, je crois, de vous faire quelque plaisir. » Et après avoir cité un long passage, il ajoute : « Je n’ai pas sous les yeux la deuxième lettre à ma femme et qui est encore plus piquante[2]. » — On avait lu cette page des Mémoires d’Outre-tombe : « Je ne sais s’il a jamais existé une intelligence plus fine que celle de ma femme : elle devine la pensée et la parole à naître, sur le front ou sur les lèvres de la personne avec qui elle cause : la tromper en rien est impossible. D’un esprit original et cultivé, écrivant de la manière la plus piquante, racontant à merveille[3]… » Par M. Daniélo, qui fut pendant vingt ans le secrétaire de M. de Chateaubriand, on savait « qu’elle avait plus d’esprit que

  1. Souvenirs littéraires, tome I, p. 382.
  2. Pensées, Essais, Maximes et Correspondance de M. Joubert, tome II.
  3. Mémoires d’Outre-tombe, tome I, p. 408.