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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

Au bout de soixante-un jours de tranchée, Napoléon fut obligé de lever le siège de Saint-Jean-d’Acre. Nos soldats, sortant de leurs huttes de terre, couraient après les boulets de l’ennemi que nos canons lui renvoyaient. Nos troupes, ayant à se défendre contre la ville et contre les vaisseaux embossés des Anglais, livrèrent neuf assauts et montèrent cinq fois sur les remparts. Du temps des croisés, il y avait à Saint-Jean-d’Acre, au rapport de Rigord[1], une tour appelée maudite. Cette tour avait peut-être été remplacée par la grosse tour qui avait fait échouer l’attaque de Bonaparte. Nos soldats sautèrent dans les rues, où l’on se battit corps à corps pendant la nuit. Le général Lannes[2] fut blessé à la tête, Colbert à la cuisse : parmi les morts on compta Boyer, Venoux et le général Bon, exécuteur du massacre des prisonniers de Jaffa. Kléber disait de ce siège : « Les Turcs se défendent comme des chrétiens, les Français attaquent comme des Turcs. » Critique d’un soldat qui n’aimait pas Napoléon. Bonaparte s’en alla proclamant qu’il avait rasé le palais de Djezzar et bombardé la ville de manière

  1. Rigord, moine de l’Abbaye de Saint-Denis, mort vers 1207, a laissé une Histoire de Philippe-Auguste (en latin), continuée par Guillaume le Breton. Elle a été traduite en français dans la Collection Guizot.
  2. Jean Lannes, né en 1769 à Lectoure (Gers). Il s’enrôla en 1792 comme volontaire. Colonel dès 1795, général de brigade en 1797, il avait accompagné Bonaparte en Égypte. En 1800, il se couvrit de gloire à Montebello et, quelques jours après, contribua puissamment à la victoire de Marengo. Napoléon le créa maréchal d’Empire et duc de Montebello. En Allemagne, à Austerlitz, à Iéna, à Eylau, à Friedland, il ajouta de nouveaux lauriers à ses lauriers d’Italie, mais à Essling (22 mai 1809), il fut blessé mortellement et mourut quelques jours plus tard, après avoir été amputé des deux jambes.