Page:Chateaubriand - Mémoires d’outre-tombe t3.djvu/173

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
161
MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

par la mort dans la ville d’Ascaron (Ascalon, près de Saint-Jean-d’Acre). »

Bonaparte était un grand magicien, mais il n’avait pas le pouvoir de transformer le général Bon, tué à Ptolémaïs[1] en Raoul, sire de Coucy, qui, expirant au pied des remparts de cette ville, écrivait à la dame de Fayel : Mort por loïalement amer son amie.

Napoléon n’aurait pas été bien reçu à rejeter la chanson des canteors, lui qui se nourrissait à Saint-Jean-d’Acre de bien d’autres fables. Dans les derniers jours de sa vie, sous un ciel que nous ne voyons pas, il s’est plu à divulguer ce qu’il méditait en Syrie, si toutefois il n’a pas inventé des projets d’après des faits accomplis et ne s’est pas amusé à bâtir avec un passé réel l’avenir fabuleux qu’il voulait que l’on crût. « Maître de Ptolémaïs », nous racontent les révélations de Sainte-Hélène, « Napoléon fondait en Orient un empire, et la France était laissée à d’autres destinées. Il volait à Damas, à Alep, sur l’Euphrate. Les chrétiens de la Syrie, ceux même de l’Arménie, l’eussent renforcé. Les populations allaient être ébranlées. Les débris des mameloucks, les Arabes du désert de l’Égypte, les Druses du Liban, les Mutualis ou mahométans opprimés de la secte d’Ali, pouvaient se réunir à l’armée maîtresse de la Syrie, et la commotion se communiquait à toute l’Arabie. Les provinces de l’empire ottoman qui parlent arabe appelaient un grand changement et attendaient un homme avec des chances heureuses ; il pouvait se trouver sur l’Euphrate, au milieu de l’été, avec cent mille auxiliaires et une réserve de vingt-cinq mille

  1. Saint-Jean-d’Acre était l’ancienne Ptolémaïs.