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Page:Chateaubriand - Mémoires d’outre-tombe t3.djvu/185

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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

par la mer Rouge les gouverneurs de l’île de France et de l’île de Bourbon : il envoie ses salutations au sultan du Maroc et au bey de Tripoli ; il leur fait part de ses affectueuses sollicitudes pour les caravanes et les pèlerins de la Mecque ; Napoléon cherche en même temps à détourner le grand vizir de l’invasion que la Porte médite, assurant qu’il est prêt à tout vaincre, comme à entrer dans toute négociation.

Une chose ferait peu d’honneur à notre caractère, si notre imagination et notre amour de nouveauté n’étaient plus coupables que notre équité nationale ; les Français s’extasient sur l’expédition d’Égypte, et ils ne remarquent pas qu’elle blessait autant la probité que le droit politique ; en pleine paix avec la plus vieille alliée de la France, nous l’attaquons, nous lui ravissons sa féconde province du Nil, sans déclaration de guerre, comme des Algériens qui, dans une de leurs algarades, se seraient emparés de Marseille et de la Provence. Quand la Porte arme pour sa défense légitime, fiers de notre illustre guet-apens, nous lui demandons ce qu’elle a, et pourquoi elle se fâche ; nous lui déclarons que nous n’avons pris les armes que pour faire la police chez elle, que pour la débarrasser de ces brigands de mameloucks qui tenaient son pacha prisonnier. Bonaparte mande au grand vizir : « Comment Votre Excellence ne sentirait-elle pas qu’il n’y a pas un Français de tué qui ne soit un appui de moins pour la Porte ? Quant à moi, je tiendrai pour le plus beau jour de ma vie celui où je pourrai contribuer à faire terminer une guerre à la fois impolitique et sans objet. » Bonaparte voulait s’en aller : la guerre alors était sans objet et impolitique ! L’an-