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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

tion, et commencé la nouvelle ère du siècle littéraire. Il n’en est pas de même des Martyrs ; ils venaient après la révolution opérée, ils n’étaient qu’une preuve surabondante de mes doctrines ; mon style n’était plus une nouveauté, et même, excepté dans l’épisode de Velléda et dans la peinture des mœurs des Francs, mon poème se ressent des lieux qu’il a fréquentés : le classique y domine le romantique.

Enfin, les circonstances qui contribuèrent au succès du Génie du christianisme n’existaient plus ; le gouvernement, loin de m’être favorable, m’était contraire. Les Martyrs me valurent un redoublement de persécution : les allusions fréquentes dans le portrait de Galérius et dans la peinture de la cour de Dioclétien ne pouvaient échapper à la police impériale ; d’autant que le traducteur anglais, qui n’avait pas de ménagements à garder, et à qui il était fort égal de me compromettre, avait fait, dans sa préface, remarquer les allusions.

La publication des Martyrs coïncida avec un accident funeste. Il ne désarma pas les aristarques, grâce à l’ardeur dont nous sommes échauffés à l’endroit du pouvoir ; ils sentaient qu’une critique littéraire qui tendait à diminuer l’intérêt attaché à mon nom pouvait être agréable à Bonaparte. Celui-ci, comme les banquiers millionnaires qui donnent de larges festins et font payer les ports de lettres, ne négligeait pas les petits profits.


Armand de Chateaubriand, que vous avez vu compagnon de mon enfance, que vous avez retrouvé à l’armée des princes avec la sourde et muette Libba,