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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

fleuve, sur la hauteur la plus élevée, on apercevait la tente de l’empereur. Autour d’elle toutes les collines, leurs pentes, les vallées, étaient couvertes d’hommes et de chevaux. » (Ségur[1].)

L’ensemble des forces obéissant à Napoléon se montait à six cent quatre-vingt-mille trois cents fantassins, à cent soixante-seize mille huit cent cinquante chevaux. Dans la guerre de la succession, Louis XIV avait sous les armes six cent mille hommes, tous Français. L’infanterie active, sous les ordres immédiats de Bonaparte, était répartie en dix corps. Ces corps se composaient de vingt mille Italiens, de quatre vingt-mille hommes de la Confédération du Rhin, de trente mille Polonais, de trente mille Autrichiens, de vingt mille Prussiens et de deux cent soixante-dix mille Français.

L’armée franchit le Niémen ; Bonaparte passe lui-même le pont fatal et pose le pied sur la terre russe. Il s’arrête et voit défiler ses soldats, puis il échappe à la vue et galope au hasard dans une forêt, comme appelé au conseil des esprits sur la bruyère. Il revient ; il écoute ; l’armée écoutait : on se figure entendre gronder le canon lointain ; on était plein de joie : ce n’était qu’un orage ; les combats reculaient. Bonaparte s’abrita dans un couvent abandonné : double asile de paix.

On a raconté que le cheval de Napoléon s’abattit et qu’on entendit murmurer : « c’est un mauvais présage ; un Romain reculerait[2]. » Vieille histoire de Scipion, de Guillaume le Bâtard, d’Édouard III, et de Malesherbes partant pour le tribunal révolutionnaire.

  1. Ségur, livre IV, ch. II.
  2. Ibid.