Les acclamations cessent ; on descend muets vers la ville ; aucune députation ne sort des portes pour présenter les clefs dans un bassin d’argent. Le mouvement de la vie était suspendu dans la grande cité. Moscou chancelait silencieuse devant l’étranger ; trois jours après elle avait disparu ; la Circassienne du Nord, la belle fiancée, s’était couchée sur son bûcher funèbre.
Lorsque la ville était encore debout, Napoléon en marchant vers elle s’écriait : « La voilà donc cette ville fameuse ! » et il regardait : Moscou, délaissée, ressemblait à la cité pleurée dans les Lamentations. Déjà Eugène et Poniatowski ont débordé les murailles ; quelques-uns de nos officiers pénètrent dans la ville ; ils reviennent et disent à Napoléon : « Moscou est déserte ! — Moscou est déserte ? c’est invraisemblable ! qu’on m’amène les boyards. » Point de boyards, il n’est resté que des pauvres qui se cachent. Rues abandonnées, fenêtres fermées : aucune fumée ne s’élève des foyers d’où s’en échapperont bientôt des torrents. Pas le plus léger bruit. Bonaparte hausse les épaules.
Murat, s’étant avancé jusqu’au Kremlin, y est reçu par les hurlements des prisonniers devenus libres pour délivrer leur patrie : on est contraint d’enfoncer les portes à coups de canon.
Napoléon s’était porté à la barrière de Dorogomilow : il s’arrêta dans une des premières maisons du faubourg, fit une course le long de la Moskowa, ne rencontra personne. Il revint à son logement, nomma le maréchal Mortier[1] gouverneur de Moscou, le général
- ↑ Adolphe-Édouard-Casimir-Joseph Mortier (1768-1835). Ma-