Page:Chateaubriand - Mémoires d’outre-tombe t3.djvu/368

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
356
MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

de côté la douleur pour ne songer qu’à la réparation de l’injure : « Que les lamentations et les larmes soient courtes, la tristesse et la douleur longues, disaient les Germains d’autrefois ; à la femme il est décent de pleurer, à l’homme de se souvenir : Lamenta ac lacrymas cito, dolorem et tristitiam tarde ponunt. Feminis lugere honestum est, viris meminisse. » Alors la jeune Allemagne court à la délivrance de la patrie ; alors se pressèrent ces Germains, alliés de l’Empire, dont l’ancienne Rome se servit en guise d’armes et de javelots, velut tela atque arma.

Le professeur Fichte[1] faisait à Berlin, en 1813, une leçon sur le devoir ; il parla des calamités de l’Allemagne, et termina sa leçon par ces paroles : « Le cours sera donc suspendu jusqu’à la fin de la campagne. Nous le reprendrons dans notre patrie libre, ou nous serons morts pour reconquérir la liberté. » Les jeunes auditeurs se lèvent en poussant des cris : Fichte descend de sa chaire, traverse la foule, et va inscrire son nom sur les rôles d’un corps partant pour l’armée.

Tout ce que Bonaparte avait méprisé et insulté lui devient péril : l’intelligence descend dans la lice contre la force brutale ; Moscou est la torche à la lueur de laquelle la Germanie ceint son baudrier : « Aux armes !

  1. Jean-Gotllich Fichte (1762-1814). Professeur de philosophie à Iéna d’abord, ensuite à Berlin, il avait prononcé, en cette dernière ville, de 1807 à 1808, malgré l’occupation française, ses fameux Discours à la nation allemande, qui préparèrent le réveil de l’Allemagne. Ses principaux ouvrages sont les Principes d’une théorie de la science (1794), Principes du droit naturel (1796-1797), Système de morale (1798), la Destination de l’homme (1800), Méthode pour arriver à la vie bienheureuse (1806).