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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

quitter Blois, chacun se fit payer sur les fonds de la régence ses frais de route et l’arriéré de ses appointements : d’une main on tenait ses passeports, de l’autre son argent, prenant soin d’envoyer en même temps son adhésion au gouvernement provisoire, car on ne perdit point la tête. Madame mère et son frère, le cardinal Fesch, partirent pour Rome. Le prince Esterhazy vint chercher Marie-Louise et son fils de la part de François II. Joseph et Jérôme se retirèrent en Suisse, après avoir inutilement voulu forcer l’impératrice à s’attacher à leur sort. Marie-Louise se hâta de rejoindre son père : médiocrement attachée à Bonaparte, elle trouva le moyen de se consoler et se félicita d’être délivrée de la double tyrannie de l’époux et du maître. Quand Bonaparte rapporta l’année suivante cette confusion de fuite aux Bourbons, ceux-ci, à peine arrachés à leurs longues tribulations, n’avaient pas eu quatorze ans d’une prospérité inouïe pour s’accoutumer aux aises du trône.


Cependant Napoléon n’était point encore détrôné ; plus de quarante mille des meilleurs soldats de la terre étaient autour de lui ; il pouvait se retirer derrière la Loire ; les armées françaises arrivées d’Espagne grondaient dans le Midi ; la population militaire bouillonnante pouvait répandre ses laves ; parmi les chefs étrangers même, il s’agissait encore de Napoléon ou de son fils pour régner sur la France : pendant deux Jours Alexandre hésita. M. de Talleyrand inclinait secrètement, comme je l’ai dit, à la politique qui tendait à couronner le roi de Rome, car il redoutait les Bourbons ; s’il n’entrait pas alors tout à fait dans