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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

jetai à corps perdu dans la mêlée pour servir de bouclier à la liberté renaissante contre la tyrannie encore debout et dont le désespoir triplait les forces. Je parlai au nom de la légitimité, afin d’ajouter à ma parole l’autorité des affaires positives. J’appris à la France ce que c’était que l’ancienne famille royale ; je dis combien il existait de membres de cette famille, quels étaient leurs noms et leur caractère : c’était comme si j’avais fait le dénombrement des enfants de l’empereur de la Chine, tant, la République et l’Empire avaient envahi le présent et relégué les Bourbons dans le passé. Louis XVIII déclara, je l’ai déjà plusieurs fois mentionné, que ma brochure lui avait plus profité qu’une armée de cent mille hommes ; il aurait pu

    condamnés comme contumaces et fusillés s’ils étaient saisis. (Correspondance de Napoléon, t. XIII, p. 7.) Ordres terribles, qui reçurent leur exécution dans la mesure du possible : le libraire Palm, arrêté à Nuremberg le 26 août, fut traduit sur-le-champ devant une commission militaire et fusillé trois heures après sa condamnation. Reconnaissons-le donc, il y avait bien quelque courage à préparer une brochure telle que celle de Chateaubriand sous la domination, ébranlée sans doute, mais encore formidable, de l’homme qui avait écrit la lettre de Saint-Cloud.

    Rien de moins fondé, d’ailleurs, que le reproche adressé à l’auteur de Buonaparte et les Bourbons d’avoir brisé entre les mains de l’empereur une arme dont celui-ci pouvait encore se servir avec succès pour le salut de la patrie. Lorsque parurent, dans le Journal des Débats du 4 avril les premiers extraits de la brochure, la déchéance de Napoléon avait déjà été votée par le Sénat, par le Conseil municipal de Paris, par les membres du Corps législatif présents dans la capitale. Le maréchal Marmont avait signé, la veille, avec le prince de Schwarzenberg, la Convention d’Essonnes (3 avril), et le matin même, à Fontainebleau, les maréchaux Lefebvre, Oudinot, Ney, Macdonald, Berthier avaient arraché à l’empereur son abdication. Il ne dépendait donc plus de lui, à ce moment, de changer la situation, de reprendre victorieusement l’offensive, de rejeter loin de Paris et