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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

N’aurait-il pas été plus commode pour les Bourbons d’adopter en arrivant le gouvernement établi, un Corps législatif muet, un Sénat secret et esclave, une presse enchaînée ? À la réflexion, on trouve la chose impossible : les libertés naturelles, se redressant dans l’absence du bras qui les courbait, auraient repris leur ligne verticale sous la faiblesse de la compression. Si les princes légitimes avaient licencié l’armée de Bonaparte, comme ils auraient dû le faire, (c’était l’opinion de Napoléon à l’île d’Elbe), et s’ils eussent conservé en même temps le gouvernement impérial, c’eût été trop de briser l’instrument de la gloire pour ne garder que l’instrument de la tyrannie : la charte était la rançon de Louis XVIII.


Le 12 avril, le comte d’Artois arriva en qualité de lieutenant général du royaume. Trois ou quatre cents hommes à cheval allèrent au-devant de lui ; j’étais de la troupe. Il charmait par sa bonne grâce, différente des manières de l’Empire. Les Français reconnaissaient avec plaisir dans sa personne leurs anciennes mœurs, leur ancienne politesse et leur ancien langage ; la foule l’entourait et le pressait ; consolante apparition du passé, double abri qu’il était contre l’étranger vainqueur et contre Bonaparte encore menaçant. Hélas ! ce prince ne remettait le pied sur le sol français que pour y voir assassiner son fils et pour retourner mourir sur cette terre d’exil dont il revenait ; il y a des hommes à qui la vie a été jetée au cou comme une chaîne.

On m’avait présenté au frère du roi ; on lui avait fait lire ma brochure, autrement il n’aurait pas su mon