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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

« Nous apprîmes qu’il y avait au Luc[1] deux escadrons de hussards autrichiens ; et, d’après la demande de Napoléon, nous envoyâmes l’ordre au commandant d’y attendre notre arrivée pour escorter l’empereur jusqu’à Fréjus. »

Ici finit la narration du comte de Waldbourg : ces récits font mal à lire. Quoi ! les commissaires ne pouvaient-ils mieux protéger celui dont ils avaient l’honneur de répondre ? Qu’étaient-ils pour affecter des airs si supérieurs avec un pareil homme ? Bonaparte dit avec raison que, s’il l’eût voulu, il aurait pu voyager accompagné d’une partie de sa garde. Il est évident qu’on était indifférent à son sort ; on jouissait de sa dégradation ; on consentait avec plaisir aux marques de mépris que la victime requérait pour sa sûreté : il est si doux de tenir sous ses pieds la destinée de celui qui marchait sur les plus hautes têtes, de se venger de l’orgueil par l’insulte ! Aussi les commissaires ne trouvent pas un mot, même un mot de sensibilité philosophique, sur un tel changement de fortune, pour avertir l’homme de son néant et de la grandeur des jugements de Dieu ! Dans les rangs des alliés, les anciens adulateurs de Napoléon avaient été nombreux : quand on s’est mis à genoux devant la force, on n’est pas reçu à triompher du malheur. La Prusse, j’en conviens, avait besoin d’un effort de vertu pour oublier ce qu’elle avait souffert, elle, son roi et sa reine ; mais cet effort devait être fait. Hélas ! Bonaparte n’avait eu pitié de rien ; tous les cœurs s’étaient refroidis pour lui. Le moment où il s’est montré le plus cruel, c’est à Jaffa ; le plus petit, c’est sur la route de l’île d’Elbe :

  1. Le Luc, chef-lieu de canton du Var.