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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

d’embarquer Charles X à Cherbourg. Charles X, apparemment pour le rendre digne de sa mission future, donna dans la suite à M. Maison le bâton de maréchal de France, comme un chevalier, avant de se battre, conférait la chevalerie à l’homme inférieur avec lequel il daignait se mesurer.

Je craignais l’effet de l’apparition de Louis XVIII. Je me hâtai de le devancer dans cette résidence d’où Jeanne d’Arc tomba aux mains des Anglais[1] et où l’on me montra un volume atteint d’un des boulets lancés contre Bonaparte. Qu’allait-on penser à l’aspect de l’invalide royal remplaçant le cavalier qui avait pu dire comme Attila : « L’herbe ne croît plus partout où mon cheval a passé ! » Sans mission et sans goût j’entrepris (on m’avait jeté un sort) une tâche assez difficile, celle de peindre l’arrivée à Compiègne, de faire voir le fils de saint Louis tel que je l’idéalisai à l’aide des Muses. Je m’exprimai ainsi :

« Le carrosse du roi était précédé des généraux et des maréchaux de France, qui étaient allés au-devant de S. M. Ce n’a plus été des cris de Vive le roi ! mais des clameurs confuses dans lesquelles on ne distinguait rien que les accents de l’attendrissement et de la joie. Le roi portait un habit bleu, distingué seulement par une plaque et des épaulettes ; ses jambes étaient enveloppées de larges guêtres de velours rouge, bordées d’un petit cordon d’or. Quand il est assis dans son fauteuil, avec ses guêtres à l’antique, tenant sa canne entre ses genoux, on croirait voir Louis XIV à cinquante ans…
… Les maréchaux Macdonald, Ney,

  1. Compiègne. Louis XVIII y arriva le 29 avril.