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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

de héraut de la légitimité : mais plus l’ouvrage avait de succès, moins l’auteur plaisait à Sa Majesté. Les Réflexions politiques divulguèrent mes doctrines constitutionnelles : la cour en reçut une impression que ma fidélité aux Bourbons n’a pu effacer. Louis XVIII disait à ses familiers : « Donnez-vous de garde d’admettre jamais un poète dans vos affaires : il perdra tout. Ces gens-là ne sont bons à rien. »

Une forte et vive amitié remplissait alors mon cœur : la duchesse de Duras[1] avait de l’imagination,

  1. Claire de Coetnempren de Kersaint, duchesse de Duras (1777-1829). Fille du comte Guy de Kersaint, député à la Législative et à la Convention, guillotiné le 4 décembre 1793, elle quitta la France après l’exécution de son père, et passa avec sa mère à Philadelphie, puis à la Martinique, patrie de Mme de Kersaint. Celle-ci étant morte à son tour, et un parent, établi aux colonies, ayant laissé à la jeune orpheline une succession assez considérable, elle vint en Angleterre, où, en 1797, elle épousa Amédée-Bretagne-Malo de Durfort qui, trois ans plus tard, à la mort de son père, allait être le duc de Duras. Elle rentra en France à l’époque du Consulat, mais se tint à l’écart de la cour impériale, retirée le plus souvent au château d’Ussé, en Touraine. Au retour des Bourbons, le duc de Duras fut nommé pair de France et premier gentilhomme de la Chambre. La duchesse eut alors un salon, qui fut bientôt l’un des plus recherchés de Paris, et dont M. Villemain, l’un des habitués, parle en ces termes : « Le salon de Mme la duchesse de Duras était naturellement monarchique, mais avec des nuances très marquées de constitutionalisme anglais, de libéralisme français, d’amour des lettres, de goût des arts, et en particulier d’admiration pour M. de Chateaubriand et d’impatient désir de le voir ministre ». Elle a écrit plusieurs petits romans : Édouard, Ourika, Frère Ange, Olivier, les Mémoires de Sophie. Les deux premiers, que ses amis publièrent presque de force, parurent en 1820 et 1824, avec le plus vif succès. Les trois autres sont encore inédits. La duchesse de Duras avait composé pendant ses dernières années des pages éminemment chrétiennes, qui ont paru en 1839 sous ce titre : Réflexions et prières inédites.