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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

littérature une chose abstraite, et l’isoler au milieu des affaires humaines. Ces personnes me diront : Pourquoi garder le silence ? ne considérez les ouvrages de M. Chénier que sous les rapports littéraires. C’est-à-dire, messieurs, qu’il faut que j’abuse de votre patience et de la mienne pour répéter des lieux communs que l’on trouve partout, et que vous connaissez mieux que moi. Autres temps, autres mœurs : héritiers d’une longue suite d’années paisibles, nos devanciers pouvaient se livrer à des discussions purement académiques, qui prouvaient encore moins leur talent que leur bonheur. Mais nous, restes infortunés d’un grand naufrage, nous n’avons plus ce qu’il faut pour goûter un calme si parfait. Nos idées, nos esprits, ont pris un cours différent. L’homme a remplacé en nous l’académicien : en dépouillant les lettres de ce qu’elles peuvent avoir de futile, nous ne les voyons plus qu’à travers nos puissants souvenirs et l’expérience de notre adversité. Quoi ! après une révolution qui nous a fait parcourir en quelques années les événenements de plusieurs siècles, on interdira à l’écrivain toute considération élevée, on lui refusera d’examiner le côté sérieux des objets ! Il passera une vie frivole à s’occuper de chicanes grammaticales, de règles de goût, de petites sentences littéraires ! Il vieillira enchaîné dans les langes de son berceau ! Il ne montrera pas sur la fin de ses jours un front sillonné par ses longs travaux, par ses graves pensées, et souvent ces mâles douleurs qui ajoutent à la grandeur de l’homme ! Quels soins importants auront donc blanchi ses cheveux ? Les