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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

vertu à peu de frais : l’âme supérieure n’est pas celle qui pardonne ; c’est celle qui n’a pas besoin de pardon.

Je ne sais où Bonaparte, à Sainte-Hélène, a trouvé que j’avais rendu à Gand des services essentiels : s’il jugeait trop favorablement mon rôle, du moins il y avait dans son sentiment une appréciation de ma valeur politique.


Je me dérobais à Gand, le plus que je pouvais, à des intrigues antipathiques à mon caractère et misérables à mes yeux ; car, au fond, dans notre mesquine catastrophe j’apercevais la catastrophe de la société. Mon refuge contre les oisifs et les croquants était l’enclos du Béguinage : je parcourais ce petit univers de femmes voilées ou aguimpées, consacrées aux diverses œuvres chrétiennes : région calme, placée comme les syrtes africaines au bord des tempêtes. Là aucune disparate ne heurtait mes idées, car le sentiment religieux est si haut, qu’il n’est jamais étranger aux plus graves révolutions : les solitaires de la Thébaïde et les Barbares, destructeurs du monde romain, ne sont point des faits discordants et des existences qui s’excluent.

J’étais reçu gracieusement dans l’enclos comme l’auteur du Génie du christianisme : partout où je vais, parmi les chrétiens, les curés m’arrivent ; ensuite les mères m’amènent leurs enfants ; ceux-ci me récitent mon chapitre sur la première communion. Puis se présentent des personnes malheureuses qui me disent le bien que j’ai eu le bonheur de leur faire. Mon passage dans une ville catholique est annoncé comme