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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

ci, historien élégant et agréable poète, nous devient plus respectable et plus cher par le souvenir d’un père et d’un fils mutilés au service de la patrie[1]. Celui-là, en rendant l’ouïe aux sourds et la parole aux muets, nous rappelle les miracles du culte évangélique auquel il s’est consacré[2]. N’est-il point parmi vous, messieurs, des témoins de vos anciens triomphes, qui puissent raconter au digne héritier du chancelier d’Aguesseau comment le nom de son aïeul fut jadis applaudi dans cette assemblée[3] ? Je passe aux nourrissons favoris des neuf Sœurs, et j’aperçois le vénérable auteur d’Œdipe retiré dans la solitude, et Sophocle oubliant à Colone la gloire qui le rappelle dans Athènes[4]. Combien nous devons

  1. Le comte de Ségur, fils du maréchal de Ségur et père du général de Ségur. Ce dernier, le futur historien de la guerre de Russie, avait été criblé de balles, à la bataille de Sommo-Sierra, le 30 novembre 1808 ; il avait reçu en pleine poitrine un biscaïen qui lui avait mis le cœur à découvert. Mutilé, sanglant, de sa main crispée tenant toujours son sabre, il lui fallut faire retraite avec ses compagnons sous une pluie de fer et de feu, exposé sans cesse à recevoir le coup décisif ; il tomba enfin dans les bras de nos grenadiers du 96e. Pendant que le colonel de La Grange lui donnait les premiers soins, animé par la lutte, il criait encore : « En avant ! en avant ! que l’infanterie nous venge ! » L’empereur le vit de loin, et s’étant informé : « Ah ! pauvre Ségur ! s’écria-t-il. Yvan, allez vite et sauvez-le moi ! » (Le général Philippe de Ségur, par Saint-René Taillandier, p. 97.)
  2. L’abbé Sicard.
  3. Le comte d’Aguesseau.
  4. Ducis, — le vieux Ducis fut particulièrement sensible à ce que Chateaubriand disait de lui. Il écrivait à M. Odogharty de La Tour, le 20 juillet 1814 : « Dites bien, mon cher ami, à M. de Chateaubriand, combien je suis sensible à l’honneur de son estime. Ce qu’il a dit de moi dans son Discours de réception n’est point une chose vulgaire ni dite vulgairement. Il a le se-