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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

sont ceux que j’ai passés à Noisiel, chez cette femme dont les paroles et les sentiments n’entraient dans votre âme que pour y ramener la sérénité. Je les rappelle avec regret, ces moments écoulés sous les grands marronniers de Noisiel ! L’esprit apaisé, le cœur convalescent, je regardais les ruines de l’abbaye de Chelles, les petites lumières des barques arrêtées parmi les saules de la Marne.

Le souvenir de madame de Lévis est pour moi celui d’une silencieuse soirée d’automne. Elle a passé en peu d’heures ; elle s’est mêlée à la mort comme à la source de tout repos. Je l’ai vue descendre sans bruit dans son tombeau au cimetière du Père-Lachaise ; elle est placée au-dessus de M. de Fontanes, et celui-ci dort auprès de son fils Saint-Marcellin, tué en duel. C’est ainsi qu’en m’inclinant au monument de madame de Lévis, je suis venu me heurter à deux autres sépulcres ; l’homme ne peut éveiller une douleur sans en réveiller une autre ; pendant la nuit, les diverses fleurs qui ne s’ouvrent qu’à l’ombre s’épanouissent.

À l’affectueuse bonté de Madame de Lévis pour moi était jointe l’amitié de M. le duc de Lévis le père : je ne dois plus compter que par générations. M. de Lévis écrivait bien ; il avait l’imagination variée et féconde qui sentait sa noble race comme on la retrouvait à Quiberon dans son sang répandu sur les grèves.

Tout ne devait pas finir là ; c’était le mouvement d’une amitié qui passait à la seconde génération. M. le duc de Lévis le fils,[1] aujourd’hui attaché à M. le

  1. Gaston-François-Christophe-Victor, duc de Ventadour et de Lévis (1794-1863). Il reçut sous l’Empire un brevet de sous-