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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

Ce mélange de colère et d’attrait de Bonaparte contre et pour moi est constant et étrange : naguère il menace, et tout à coup il demande à l’Institut pourquoi il n’a pas parlé de moi à l’occasion des prix décennaux. Il fait plus, il déclare à Fontanes que, puisque l’Institut ne me trouve pas digne de concourir pour le prix, il m’en donnera un, qu’il me nommera surintendant général de toutes les bibliothèques de France ; surintendance appointée comme une ambassade de première classe. La première idée que Bonaparte avait eue de m’employer dans la carrière diplomatique ne lui passait pas : il n’admettait point, pour cause à lui bien connue, que j’eusse cessé de faire partie du ministère des relations extérieures. Et toutefois, malgré ces munificences projetées, son préfet de police m’invite quelque temps après à m’éloigner de Paris, et je vais continuer mes Mémoires à Dieppe[1].

Bonaparte descend au rôle d’écolier taquin ; il déterre l’Essai sur les Révolutions et il se réjouit de la

    tin, à leur départ, la Gloire ne put parvenir à graver mon nom sur son marbre ; l’Amour, après l’avoir tracé sur ses tablettes, l’effaça bientôt en riant ; l’Amitié seule me promit de le conserver dans son livre.

    « De Chateaubriand. — 1813. »

  1. Le 4 septembre 1812, Chateaubriand reçut du préfet de police l’ordre de s’éloigner de Paris ; il se retira à Dieppe. (Voir le tome I des Mémoires, p.63. — Avant de quitter Paris, il adressa ce billet à Joubert, par manière d’adieu : « Mon cher ami, je voulais aller vous embrasser. Je pars cette nuit pour Dieppe ; j’ai grand besoin de respirer un peu l’air de ma nourrice, la mer. La Chatte (Mme de Chateaubriand) va se trouver bien seule, puisque vous partez aussi. Je vous embrasse donc tendrement, ainsi que le Loup (Mme Joubert). » — À la page 191 de son livre sur Chateaubriand, M. Villemain, qui brouille volontiers les dates, place en 1813, au lieu de 1812, l’exil à Dieppe.