Page:Chateaubriand - Mémoires d’outre-tombe t3.djvu/67

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
55
MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

et rois, a nonobstant été dominé par un instinct de raison qui lui commandait de se soumettre à ce qu’il y a de reconnu beau : religion, justice, humanité, égalité, liberté, gloire. Ce que l’on rêve aujourd’hui de l’avenir, ce que la génération actuelle s’imagine avoir découvert d’une société à naître, fondée sur des principes tout différents de ceux de la vieille société, se trouve positivement annoncé dans l’Essai. J’ai devancé de trente années ceux qui se disent les proclamateurs d’un monde inconnu. Mes actes ont été de l’ancienne cité, mes pensées de la nouvelle ; les premiers de mon devoir, les dernières de ma nature.

L’Essai n’était pas un livre impie ; c’était un livre de doute et de douleur. Je l’ai déjà dit[1].

Du reste, j’ai dû m’exagérer ma faute et racheter par des idées d’ordre tant d’idées passionnées répandues dans mes ouvrages. J’ai peur au début de ma carrière d’avoir fait du mal à la jeunesse ; j’ai à réparer auprès d’elle, et je lui dois au moins d’autres leçons. Qu’elle sache qu’on peut lutter avec succès contre une nature troublée ; la beauté morale, la beauté divine, supérieure à tous les rêves de la terre, je l’ai vue ; il ne faut qu’un peu de courage pour l’atteindre et s’y tenir.

Afin d’achever ce que j’ai à dire sur ma carrière littéraire, je dois mentionner l’ouvrage qui la commença, et qui demeura en manuscrit jusqu’à l’année où je l’insérai dans mes Œuvres complètes.

À la tête des Natchez, la préface a raconté com-

  1. Au tome II des Mémoires, p. 180 (tome 2, Première partie, Livre IX).