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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

avec le duc de Somerset[1] ; béatitude où je suis arrivé une fois. Les Anglais de la nouvelle race sont infiniment plus frivoles que nous ; la tête leur tourne pour un shaw : si le bourreau de Paris se rendait à Londres, il ferait courir l’Angleterre. Le maréchal Soult n’a-t-il pas enthousiasmé les ladies[2], comme Blücher, de qui elles baisaient la moustache ? Notre maréchal, qui n’est ni Antipater, ni Antigonus, ni Seleucus, ni Antiochus, ni Ptolémée, ni aucun des capitaines-rois d’Alexandre, est un soldat distingué, lequel a pillé l’Espagne en se faisant battre, et auprès de qui des capucins ont redîmé leur vie pour des tableaux. Mais il est vrai qu’il a publié, au mois de mars 1814, une furieuse proclamation contre Bonaparte, lequel il recevait en triomphe quelques jours après : il a fait depuis ses pâques à Saint-Thomas-d’Aquin. On montre pour un schilling, à Londres, sa vieille paire de bottes.

Toute renommée vient vite au bord de la Tamise et s’en va de même. En 1822, je trouvai cette grande ville plongée dans les souvenirs de Bonaparte ; on était passé du dénigrement pour Nic à un enthousiasme bête. Les mémoires de Bonaparte pullulaient ; son buste ornait toutes les cheminées ; ses gravures brillaient sur toutes les fenêtres des marchands

  1. Édouard-Adolphe Saint-Maur, onzième duc de Somerset (1775-1855).
  2. Le 23 avril 1838, Louis-Philippe nomma le maréchal Soult ambassadeur extraordinaire de France en Angleterre pour assister au couronnement de la reine Victoria. La population de Londres fit au maréchal une réception enthousiaste ; il fut le lion de toutes les fêtes. Le couronnement de la reine eut lieu le 20 juin 1838.