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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

de sa chambre était une de ces grandes croisées de peintre qui encadrent le paysage. Elle s’ouvrait sur les ruines de la villa de Pompée ; au loin, par dessus des oliviers, on voyait le soleil se coucher dans la mer. Canova revenait à cette heure ; ému de ce beau spectacle, il se plaisait à chanter, avec un accent vénitien et une voix agréable, la barcarolle : O pescator dell’onda ; madame Récamier l’accompagnait sur le piano. L’auteur de Psyché et de la Madeleine se délectait à cette harmonie, et cherchait dans les traits de Juliette le type de la Béatrix qu’il rêvait de faire un jour. Rome avait vu jadis Raphaël et Michel-Ange couronner leurs modèles dans de poétiques orgies, trop librement racontées par Cellini : combien leur était supérieure cette petite scène décente et pure entre une femme exilée et ce Canova, si simple et si doux !

Plus solitaire que jamais, Rome en ce moment portait le deuil de veuve : elle ne voyait plus passer en la bénissant ces paisibles souverains qui rajeunissaient ses vieux jours de toutes les merveilles des arts. Le bruit du monde s’était encore une fois éloigné d’elle ; Saint-Pierre était désert comme le Colisée.

J’ai lu les lettres éloquentes qu’écrivait à son amie la femme la plus illustre de nos jours passés ; lisez les mêmes sentiments de tendresse exprimés avec la plus charmante naïveté, dans la langue de Pétrarque, par le premier sculpteur des temps modernes. Je ne commettrai pas le sacrilège d’essayer de les traduire.

« Domenica mattina.

« Dio eterno ? siamo vivi, o siamo morti ? lo voglio esser vivo, almeno par scriveri ; si, lo vuole il mio