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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

éclaterait peut-être à Pétersbourg, se communiquerait de proche en proche, mettrait le feu au nord de l’Allemagne. Voilà ce que n’aperçoivent pas des hommes qui en sont restés, pour la politique, aux frayeurs vulgaires comme aux lieux communs. De petites dépêches, de petites intrigues, sont les barrières que l’Autriche prétend opposer à un mouvement qui menace tout. Si la France et l’Angleterre prenaient un parti digne d’elles, si elles notifiaient à la Porte que, dans le cas où le sultan fermerait l’oreille à toute proposition de paix, il les trouvera sur le champ de bataille au printemps, cette résolution aurait bientôt mis fin aux anxiétés de l’Europe. »

L’existence de ce Mémoire, ayant transpiré dans le monde diplomatique, m’attira une considération que je ne rejetais pas, mais que je n’ambitionnais point. Je ne vois pas trop ce qui pouvait surprendre les positifs : ma guerre d’Espagne était une chose très positive. Le travail incessant de la révolution générale qui s’opère dans la vieille société, en amenant parmi nous la chute de la légitimité, a dérangé des calculs subordonnés à la permanence des faits tels qu’ils existaient en 1828.

Voulez-vous vous convaincre de l’énorme différence de mérite et de gloire entre un grand écrivain et un grand politique ? Mes travaux de diplomate ont été sanctionnés par ce qui est reconnu l’habileté suprême, c’est-à-dire par le succès. Quiconque pourtant lira jamais ce Mémoire le sautera sans doute à pieds joints, et j’en ferais autant à la place des lecteurs[1]. Eh bien,

  1. Les lecteurs, je l’espère bien, ne sauteront pas une ligne de