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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

ai fait sentir tout ce qu’il y a de rare dans mes dépêches, comme un de mes confrères de l’Institut qui chante incessamment sa renommée et qui enseigne aux hommes à l’admirer, maintenant je vous dirai où j’en veux venir par mes vanteries : en montrant ce qu’ils peuvent faire dans les emplois, je veux défendre les gens de lettres contre les gens de diplomatie, de comptoir et de bureaux.

Il ne faut pas que ceux-ci s’avisent de se croire au-dessus d’hommes dont le plus petit les surpasse de toute la tête ; quand on sait tant de choses, comme messieurs les positifs, on devrait au moins ne pas dire des âneries. Vous parlez de faits, reconnaissez donc les faits : la plupart des grands écrivains de l’antiquité, du moyen âge, de l’Angleterre moderne, ont été de grands hommes d’État, quand ils ont daigné descendre jusqu’aux affaires. « Je ne voulus pas leur donner à entendre, dit Alfieri refusant une ambassade, que leur diplomatie et leurs dépêches me paraissaient et étaient certainement pour moi moins importantes que mes tragédies ou même celles des autres : mais il est impossible de ramener cette espèce de gens-là : ils ne peuvent et ne doivent pas se convertir. »

Qui fut jamais plus littéraire en France que L’Hôpital, survivancier d’Horace[1], que d’Ossat, cet habile

  1. Le chancelier de L’Hôpital excellait dans la poésie intime. « Ses vers, dit Villemain, expriment des pensées si nobles qu’on ne peut les lire sans attendrissement… C’est une âme antique qui s’exprime dans l’ancienne langue des Romains. » Ses amis Pibrac, de Thou, Scévole de Sainte-Marthe se réunirent pour faire une édition de ses Poésies intimes, qui fut publiée par Michel Hurault de L’Hôpital (Paris, 1585, in fol.)