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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

pour les payer ; de sorte que, toutes les fois que je me retire, je suis réduit à travailler aux gages d’un libraire. Quelques-uns de ces fiers obligeants, qui me prêchaient l’honneur et la liberté par la poste, et qui me les prêchèrent encore bien plus haut lorsque j’arrivai à Paris, donnèrent leur démission de conseillers d’État ; mais les uns étaient riches, les autres ne se démirent pas des places secondaires qu’ils possédaient et qui leur laissèrent les moyens d’exister. Ils firent comme les protestants, qui rejettent quelques dogmes des catholiques et qui en conservent d’autres tout aussi difficiles à croire. Rien de complet dans ces oblations ; rien d’une pleine sincérité : on quittait douze ou quinze mille livres de rente, il est vrai, mais on rentrait chez soi opulent de son patrimoine, ou du moins pourvu de ce pain quotidien qu’on avait prudemment gardé. Avec ma personne, pas tant de façons ; on était rempli pour moi d’abnégation, on ne pouvait jamais assez se dépouiller de tout ce que je possédais : « Allons, Georges Dandin, le cœur au ventre ; corbleu ! mon gendre, me forlignez pas ; habit bas ! Jetez par la fenêtre deux cent mille livres de rente, une place selon vos goûts, une haute et magnifique place, l’empire des arts à Rome, le bonheur d’avoir enfin reçu la récompense de vos luttes longues et laborieuses. Tel est notre bon plaisir. À ce prix, vous aurez notre estime. De même que nous nous sommes dépouillés d’une casaque sous laquelle nous avons un bon gilet de flanelle, de même vous quitterez votre manteau de velours, pour rester nu. Il y a égalité parfaite, parité d’autel et d’holocauste. »