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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

destinées ; à l’instar de certaines ombres du Dante, il leur est impossible de s’arrêter, même dans le bonheur.

Ces vaisseaux, qui apportaient la liberté aux mers de la Numidie, emportaient la légitimité ; cette flotte sous pavillon blanc, c’était la monarchie qui appareillait, s’éloignant des ports où s’embarqua saint Louis, lorsque la mort l’appelait à Carthage. Esclaves délivrés des bagnes d’Alger, ceux qui vous ont rendus à votre pays ont perdu leur patrie ; ceux qui vous ont arrachés à l’exil éternel sont exilés. Le maître de cette vaste flotte a traversé la mer sur une barque en fugitif, et la France pourra lui dire ce que Cornélie disait à Pompée : « C’est bien une œuvre de ma fortune, non pas de la tienne, que je te vois maintenant réduit à une seule pauvre petite nave, là où tu voulois cingler avec cinq cents voiles. »

Parmi cette foule qui, au rivage de Toulon, suivait des yeux la flotte partant pour l’Afrique, n’avais-je pas des amis ? M. du Plessix[1], frère de mon beau-frère, ne recevait-il pas à son bord une femme charmante, madame Lenormant, qui attendait le retour de l’ami de Champollion[2] ? Qu’est-il résulté de ce vol exécuté en Afrique à tire d’aile ? Écoutons M. de Penhoen[3],

  1. M. du Plessix, frère du contre-amiral du Plessix de Parscau, beau-frère de Chateaubriand.
  2. Charles Lenormant, après avoir accompagné Champollion en Égypte et après avoir fait partie de l’expédition scientifique en Morée, était à la veille de revenir en France.
  3. Auguste-Théodore-Hilaire, baron Barchou de Penhoen, né à Morlaix (Finistère) le 28 avril 1801. Il prit part à l’expédition d’Alger comme capitaine d’état-major. Après la révolution de 1830, il donna sa démission pour ne pas servir le gouvernement de Louis-Philippe, et s’adonna aux lettres ainsi qu’à la philoso-