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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

victime sacrifiée en 1789. Celui-ci, ayant parcouru Paris, affirmait que tout allait au mieux pour la cause royale : c’est une chose fatale que ces races qui ont droit à la vengeance, jetées à la tombe dans nos premiers troubles, et évoquées par nos derniers malheurs. Ces malheurs n’étaient plus des nouveautés ; depuis

    34e régiment d’infanterie. Il devait être, peu de temps après la Révolution de Juillet, le héros d’une étrange aventure. Le 17 février 1832, le roi Louis-Philippe, la reine et Mlle Adélaïde, accompagnés du général Dumas, aide de camp du roi, sortaient à pied des Tuileries par la grille du quai, et entraient par un des premiers guichets sur le Carrousel, qu’ils traversèrent obliquement pour se rendre au Palais-Royal par la rue de Rohan. Au même moment, un cabriolet de remise, sortant de la rue de Chartres, traversait aussi le Carrousel et se dirigeait vers le guichet du Pont-Royal. Subitement, le maître de la voiture, vêtu d’un manteau bleu, fit retourner le cheval et le ramena du côté de la rue de Chartres et de l’hôtel Longueville, auprès duquel le roi se trouvait alors. Le cabriolet passa si près de lui qu’il fut forcé de se jeter vivement de côté. Quelques instants après, le roi et ses compagnons, arrivés à l’angle de l’hôtel de Nantes, virent revenir à eux le même cabriolet, qui était entré un instant avant dans la rue de Chartres, et qui, cette fois encore, semblait vouloir les serrer contre le mur et même les atteindre ; mais le cheval, ramené trop brusquement dans cette direction nouvelle, s’abattit ; il fut immédiatement relevé et continua rapidement sa course du côté du Pont-Royal. Après trois jours de recherches, la police découvrait que l’homme au manteau bleu était M. Bertier de Sauvigny. Il comparut le 5 mai 1832 devant la Cour d’assises de la Seine ; il n’était accusé de rien moins que d’avoir « commis un attentat contre la personne du roi, en dirigeant volontairement, à deux reprises différentes, et dans une intention coupable, son cabriolet contre la personne du roi ; crime prévu par l’article 86 du Code pénal ». L’article 86 punissait ce crime de la peine de mort. L’avocat général, M. Partarieu-Lafosse réclama l’application de cet article ; il déclara seulement, dans sa réplique, qu’après la condamnation interviendrait certainement une commutation de peine. Après une admirable plaidoirie de Berryer, Bertier de Sauvigny fut acquitté, aux applaudissements de l’auditoire.