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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

est vêtu d’une simple soutane blanche ; il n’a aucun faste et se tient dans un cabinet pauvre, presque sans meubles. Il ne mange presque pas ; il vit, avec son chat, d’un peu de polenta[1]. Il se sait très malade et se voit dépérir avec une résignation qui tient de la joie chrétienne : il mettrait volontiers, comme Benoît XIV, son cercueil sous son lit. Arrivé à la porte des appartements du pape, un abbé me conduit par des corridors noirs jusqu’au refuge ou au sanctuaire de Sa Sainteté. Elle ne se donne pas le temps de s’habiller, de peur de me faire attendre ; elle se lève, vient au-devant de moi, ne me permet jamais de mettre un genou en terre pour baiser le bas de sa robe au lieu de sa mule, et me conduit par la main jusqu’au siège placé à droite de son indigent fauteuil. Assis, nous causons.

Le lundi je me rends à sept heures du matin chez le secrétaire d’État, Bernetti[2], homme d’affaires et de plaisir. Il est lié avec la princesse Doria ; il connaît le siècle et n’a accepté le chapeau de cardinal qu’à son corps défendant. Il a refusé d’entrer dans l’Église, n’est sous-diacre qu’à brevet, et se pourrait marier demain en rendant son chapeau. Il croit à des révolutions et il va jusqu’à penser que, si sa vie est longue, il a des chances de voir la chute temporelle de la papauté.

Les cardinaux sont partagés en trois factions !

  1. Bouillie de farine d’orge.
  2. Thomas Bernetti (1779-1852). Après avoir été successivement représentant de la cour de Rome à Saint-Pétersbourg et légat de Ravenne et de Bologne, il avait été fait cardinal en 1827, et avait, en 1828, remplacé le cardinal Della Somaglia à la secrétairerie d’État.