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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

la France ces agitations qui sont la conséquence des violents changements d’un État.

« Dire que cet enfant, séparé de ses maîtres, n’aurait pas le temps d’oublier jusqu’à leurs noms avant de devenir homme ; dire qu’il demeurerait infatué de certains dogmes de naissance après une longue éducation populaire, après la terrible leçon qui a précipité deux rois en deux nuits, est-ce bien raisonnable ?

« Ce n’est ni par un dévouement sentimental, ni par un attendrissement de nourrice transmis de maillot en maillot depuis le berceau de Henri IV jusqu’à celui du jeune Henri, que je plaide une cause où tout se tournerait de nouveau contre moi, si elle triomphait. Je ne vise ni au roman, ni à la chevalerie, ni au martyre ; je ne crois pas au droit divin de la royauté, et je crois à la puissance des révolutions et des faits. Je n’invoque pas même la charte, je prends mes idées, plus haut ; je les tire de la sphère philosophique de l’époque où ma vie expire : je propose le duc de Bordeaux tout simplement comme une nécessité de meilleur aloi que celle dont on argumente.

« Je sais qu’en éloignant cet enfant, on veut établir le principe de la souveraineté du peuple : niaiserie de l’ancienne école, qui prouve que, sous le rapport politique, nos vieux démocrates n’ont pas fait plus de progrès que les vétérans de la royauté. Il n’y a de souveraineté absolue nulle part ; la liberté ne découle pas du droit politique, comme on le supposait au xviiie siècle ; elle vient du droit naturel, ce qui fait qu’elle existe dans toutes les formes de