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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

connais que la déesse de la Raison dont les couches, hâtées par des adultères, aient eu lieu dans les danses de la mort. Il tombait de ses flancs publics des reptiles immondes qui ballaient à l’instant même avec les tricoteuses autour de l’échafaud, au son du coutelas, remontant et redescendant, refrain de la danse diabolique.

« Ah ! monsieur, je vous en conjure, au nom de votre rare talent, cessez de récompenser le crime et de punir le malheur par les sentences improvisées de votre muse ; ne condamnez pas le premier au ciel, le second à l’enfer. Si, en restant attaché à la cause de la liberté et des lumières, vous donniez asile à la religion, à l’humanité, à l’innocence, vous verriez apparaître à vos veilles une autre espèce de Némésis, digne de tous les hommages de la terre. En attendant que vous versiez mieux que moi sur la vertu tout l’océan de vos fraîches idées, continuez, avec la vengeance que vous vous êtes faite, de traîner aux gémonies nos turpitudes ; renversez les faux monuments d’une révolution qui n’a pas édifié le temple propre à son culte ; labourez leurs ruines avec le soc de votre satire ; semez le sel dans ce champ pour le rendre stérile, afin qu’il ne puisse y germer de nouveau aucune bassesse. Je vous recommande surtout, monsieur, ce gouvernement prosterné qui chevrote la fierté des obéissances, la victoire des défaites, et la gloire des humiliations de la patrie.

« Chateaubriand[1]. »
  1. Voir l’Appendice no IX : La NÉMÉSIS de Barthélémy, Chateaubriand, Lamartine et Balzac.